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Repenser les outils juridiques de gestion des aleas naturels dans un etat faible : le cas d’Haiti

Frédéric, Guillaume et Associés > Sans catégorie  > Repenser les outils juridiques de gestion des aleas naturels dans un etat faible : le cas d’Haiti

Repenser les outils juridiques de gestion des aleas naturels dans un etat faible : le cas d’Haiti

Abstract

The legal tools for managing natural hazards in Haiti are inadequate. The institutions involved are mostly devoid of any legal framework. The laws implemented by the Constitution in terms of territorial organization have yet to be adopted and the occupation of space by populations is not regulated. Legislation on the state of emergency, while flawed, has mostly given rise to risks of human rights abuses and bad governance. It is therefore necessary to rethink the entire legal framework for managing natural hazards.

 

Key-words : droit-urbanisme-urgence-vulnérabilité

 

Introduction

 

Les outils juridiques jouent un rôle déterminant dans la gestion des risques naturels. Ils permettent aux pouvoirs publics de disposer de moyens nécessaires à la concrétisation des politiques publiques formulées dans ce domaine. Aussi, l’objectif sans cesse réaffirmé d’atténuation des risques naturels peut difficilement se concevoir en dehors de toute logique normative.  Les catastrophes naturelles représentent un sujet de grande préoccupation dans le corps social d’où l’émergence de la formule de «société du risque» introduite par Ulrich Beck[1].   Dans toutes les hypothèses, c’est la combinaison du facteur anthropique et des causes naturelles qui est à l’origine des catastrophes naturelles. De l’aveu même des autorités haïtiennes, le bilan du séisme du 12 janvier 2010 ayant dévasté Port-au-Prince tient davantage au déficit de gouvernance que de l’intensité du phénomène[2].

Dans les États faibles[3] comme Haïti où la gouvernance des systèmes de gestion des risques est pathologique, il est indispensable de repenser ces outils. Haïti peut être classé comme un État faible du fait du dysfonctionnement avéré de la plupart des institutions publiques y compris celles qui sont investies de compétences régaliennes. Cette situation consécutive à la mauvaise gouvernance et aux crises politiques récurrentes donne lieu à l’intervention d’organisations non gouvernementales, d’entreprises et d’agences multilatérales ou bilatérales comme mécanismes de substitution à l’action publique.  L’analyse du dispositif de prévention des risques et désastres en Haïti révèle que les moyens juridiques mobilisés sont insuffisants. Même quand une politique sectorielle est relativement bien conçue. Ainsi, les «entités» jouant un rôle déterminant dans ce domaine sont pour la plupart dépourvue de cadre légal et donc d’existence juridique. Il s’ensuit qu’elles ne sont pas en mesure de s’acquitter des taches qui leur sont dévolues.  La prise en compte des risques par le droit implique normalement une démarche préventive, visant à réduire la vulnérabilité des enjeux[4]. Il s’agit également d’outiller l’Administration pour lui permettre d’intervenir efficacement au moment de la survenance d’éventuelles catastrophes et apporter secours et assistance aux victimes. Il peut aussi s’agir d’un dispositif juridique d’exception permettant d’abréger certaines procédures.

Compte tenu de la dimension de cette problématique, il est indispensable qu’Haïti fasse un saut qualitatif vers l’amélioration de l’encadrement juridique de sa politique du risque. A travers la présente communication l’on se propose d’analyser successivement les outils juridiques de réduction des risques naturels (I) et ceux qui portent sur les mesures urgentes permettant de faire face aux catastrophes après leur survenance (II).

 

  1. L’insuffisante utilisation d’outils juridiques à des fins de réduction des risques naturels

Afin de parvenir à l’application d’une «politique publique du risque»[5], il faut tenir compte des mécanismes juridiques propres aux risques et ceux qui leur sont indirectement liés. Différents outils juridiques peuvent en effet être utilisés pour contribuer à la réduction de la vulnérabilité des populations aux catastrophes naturelles. Ils ressortent de branches aussi diverses de la matière juridique que le droit de  la construction et le droit de l’urbanisme. D’autres relèvent spécifiquement du droit des risques, ce rameau du droit de l’environnement qui tend, sous d’autres latitudes, à gagner en autonomie[6]. Dans le cas d’Haïti, le constat qui s’impose est l’insuffisante utilisation de ce type d’outils. Il en est ainsi tant de ceux de la première que de la seconde catégorie.

 

 

Le cas du risque sismique non pris en compte par le législateur et dont l’appropriation toute relative par la population ne date que du lendemain du séisme meurtrier du 12 janvier 2010 est une illustration assez parlante de cette situation. La faiblesse de la règlementation s’est donc révélé l’un des facteurs de vulnérabilité décisifs dans l’explication a posteriori des  conséquences étendues du séisme.

 

   Sachant qu’en général

1.1 L’absence de cadre juridique spécifique à la politique publique des risques naturels

 

On ne peut pas nier l’existence d’une politique publique des risques en Haïti. En 2001 notamment, le gouvernement avait élaboré un document d’assez bonne facture intitulé Plan national pour la gestion du risque et des désastres(PNGRD). Cependant, la mise en œuvre juridique de cette politique publique fait défaut. Le premier constat qui s’impose est celui d’une informalité des structures dédiées à l’application de la politique publique du risque naturel. Trois institutions pouvant être spécifiquement partie prenante de cette politique font l’objet au moins d’une allusion dans un texte normatif. Il s’agit respectivement des forces armées d’Haïti mentionnées dans l’article 266 de la constitution comme étant investies d’une mission d’assistance à la population en cas de catastrophes naturelles, du ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales et plus récemment du Système national de gestion des risques et des désastres (SNGRD).

 

S’agissant du ministère de l’intérieur, sans disposer d’un cadre légal actualisé, il se voit chargé par le législateur, particulièrement au détour d’une législation relative à la protection de l’environnement, de la mission de coordonner la politique publique des risques naturels en tant qu’autorité de tutelle du SNGRD. De même, il dispose en son sein d’une Direction de la protection civile (DPC) coordonnant un «Centre d’opération d’urgence (COU)». La Protection civile fait l’objet d’une vague définition n’emportant aucune conséquence juridique dans le second article de la loi sur l’état d’urgence du 9 septembre 2008. Elle est présentée comme : la «structure étatique constituée en vue de gérer les catastrophes et d’en atténuer les conséquences sur les personnes, les biens et l’environnement». S’agissant du SNGRD, l’article 148 du décret du 12 octobre 2005 [7] dispose que «L’État a l’obligation de préparer et de mettre en place des Plans de Prévention et de Réponse aux Désastres Environnementaux. Le Système National de Gestion des Risques et Désastres est sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales.» Outre cette information, l’organigramme et le détail des missions du SNGRD ne sont pas juridiquement consacrés. Le PNGRD représente encore le document essentiel de politique en matière de gestion des risques naturels. Il établit les axes stratégiques pour la réalisation des missions du SNGRD et aurait pu servir de document de travail en vue de l’élaboration d’une législation. Le SNGRD est dans les faits doté d’une structure pyramidale. Au sommet se trouve un comité interministériel présidé par le Chef du gouvernement ou par délégation le ministre de l’intérieur et composé d’autres ministres concernés, notamment celui de l’environnement. Dans les faits, l’implication ministérielle dans ce comité est faible.

 

Les comités territoriaux à l’échelon départemental et municipal constituent le prolongement du SNGRD mais ils n’ont pas les moyens juridiques de leur action. Le fonctionnement anormal du SNGRD en marge du droit a retenu l’attention des décideurs mais ceux-ci se sont contentés de s’en plaindre. En été 2008, le Gouvernement haïtien a reconnu dans un rapport d’évaluation des besoins après désastre que « L’absence de cadre légal rend difficile la responsabilisation des institutions pour leur intervention et la mobilisation des ressources pour le renforcement des capacités[8]». Cette situation n’a pas évolué depuis lors. En l’absence de cadre légal, le SNGRD ne peut pas, par exemple, prendre des décisions administratives régulières s’imposant aux administrés. Il ne peut pas non plus interagir dans un cadre juridiquement correct avec d’autres institutions. Il ne dispose pas des moyens budgétaires pour réaliser ses missions en tant qu’organisme autonome suivant les règles actuelles de la comptabilité publique.

 

 

1.2. Les déficiences des législations sectorielles liées à la problématique de la gestion des aléas naturels

 

Il est presqu’unanimement admis depuis la survenance du séisme du 12 janvier 2010 que les pertes aussi massives en vies humaines et les destructions matérielles d’une aussi grande envergure sont les conséquences d’une gestion catastrophique de l’espace haïtien[9]. Les objectifs constitutionnels d’équité territoriale n’ont pas été réalisés et les enjeux se sont répartis sur le territoire de manière anarchique en dehors de toute planification[10].

 

Depuis la fondation de l’État haïtien, la centralisation participe d’un ensemble de dichotomies affectant  son organisation. Se constate une certaine marginalisation de la périphérie et de ceux qui y vivent, on parle de «pays en dehors»[11], au profit d’un centre que représente la capitale, siège de la vie économique et administrative. Les revendications portées par l’opposition au régime des Duvalier (1957-1986)  visant une certaine équité territoriale ont été reprises dans la Constitution de 1987. Dès son préambule est exprimée la détermination de fortifier l’unité nationale par l’abolition de toute distinction des habitants des villes et des campagnes. Une décentralisation effective est prônée.

 

Dans le schéma de l’organisation administrative d’Haïti, il n’y a pas une véritable responsabilisation des populations des régions à travers leurs autorités élues. De plus, l’administration centrale de l’État ne dispose pas de relais efficaces au niveau des régions. On se retrouve donc dans une situation d’indisponibilité des services en dehors de la capitale et de sous-administration des régions. A cela s’ajoute une concentration des activités économiques dans la zone métropolitaine.

 

Tous ces facteurs conjugués au déclin de l’agriculture lié à la libéralisation des échanges aboutissent à une migration incessante des populations vers un centre qui n’était pas prêt à les accueillir. Cette pression migratoire excessive va se traduire par une occupation désordonnée des espaces. L’exode rural et la migration interne étaient au cœur des préoccupations des constituants de 1987. Aussi, la Constitution définit dans son dispositif articulé des objectifs de meilleure organisation territoriale  s’articulant autour des concepts de décentralisation, déconcentration, et de décloisonnement industriel. Sont ainsi prévus de manière ambitieuse pas moins de quatre niveaux d’administration tous organisés de manière démocratique (échelon national, départemental, communal et des sections communales).  Aucune véritable mise en œuvre législative  n’a pourtant été réalisée.

 

Le constituant a aussi prévu des modalités pour rendre accessible, dans les régions, les prestations relevant des services de l’État à travers le mécanisme de la déconcentration. Aux termes de l’article 87-4 la déconcentration doit en effet accompagner la décentralisation. Dans les faits, l’administration centrale ne dispose que de peu de relais en régions. Il s’agit essentiellement des délégations et vice-délégations qui jouent un rôle de coordination de l’administration de l’État dans les Départements et arrondissements et de directions départementales ou régionales de certains ministères.

 

Il est aussi prévu à l’article 87-4 de la constitution un décloisonnement industriel des départements devant accompagner la décentralisation. Cette démarche est importante à maints égards. Il faut souligner que le développement de l’industrie de la sous-traitance vers les années 1970 n’a pas été étranger au phénomène migratoire. Les paysans en quête d’emplois ont du se fixer là où se trouvaient les industries. Depuis l’entrée en vigueur de la Constitution, certaines politiques incitatives ont été initiées dans le sens d’une implantation des activités industrielles dans les provinces mais sans résultats concluants.

 

Dans ce contexte, les pouvoirs publics n’arrivent pas à maitriser l’occupation des espaces par les enjeux. La bidonvilisation et  la construction d’habitats selon des modalités irrégulières par les personnes appartenant aux couches intermédiaires constituent  une réponse spontanée à l’offre insuffisante de logement. Elles sont facilitées par l’absence d’un contrôle effectif de l’Administration sur les projets de construction.

 

Face à l’émergence de nombreux quartiers précaires découlant des déficits initiaux de gouvernance, les pouvoirs publics sont encore plus désarmés. Le droit de la construction en Haïti n’intègre pratiquement pas de données techniques. Les normes techniques sur lesquelles les services compétents doivent se baser pour délivrer ou refuser les permis ne sont pas juridiquement établies. Cela rend cette législation peu pertinente dans la prévention des catastrophes et pose des difficultés en matière de contentieux.

 

S’agissant de la politique de planification urbaine et des modalités juridiques de sa mise en œuvre, elles sont quasiment inconnues en Haïti. Les communes ne définissent aucun plan d’urbanisme pertinent et ne sont pas juridiquement outillées pour le faire.

 

Le déficit de gouvernance a été largement identifié comme le principal facteur de vulnérabilité des enjeux au risque sismique et à d’autres  risques de catastrophes socio-naturelles. Dans le cadre des plans de reconstruction nationale, les autorités haïtiennes se sont prononcé dans le sens du renouvellement du cadre juridique afin de réduire la vulnérabilité des populations. Il s’agit principalement de rendre effective la décentralisation et la déconcentration et de permettre un développement territorial équilibré. Cependant, que ce soit en matière sismique ou cyclonique les mesures de prévention, de protection ou de sauvegarde devant être mises en œuvre par les différents échelons de l’Administration n’ont pas encore été juridiquement formulées. De même,  le statu quo a tendance à se consolider dangereusement. En l’absence de prise en charge par les autorités, les personnes déplacées improvisent des camps dans des zones à risques. Certains propriétaires de logements endommagés y font des modifications en vue de les occuper ou de les donner à bail sans l’avis technique des autorités habilitées. Dans la même lignée, les situations qui prévalaient en termes de méconnaissance des normes élémentaires de construction à Port-au-Prince avant le séisme continuent à se développer dans d’autres grandes villes soumises à l’aléa sismique comme le Cap-Haïtien.

 

Les insuffisances des outils juridiques liés à la prévention des risques ont constitué l’un des plus importants facteurs de vulnérabilité expliquant a posteriori l’étendu des dégâts provoqués par le séisme du 12 janvier. Depuis lors, on ne peut identifier comme axe de progrès que la prise de conscience de la nécessité d’appliquer certaines normes techniques de prévention et d’élaborer de nouveaux textes normatifs. Mais on n’est pas allé assez loin dans l’identification desdits textes et dans l’esquisse de leur contenu.

 

 

 

 

 

  1. La nécessité de repenser les outils juridiques de gestion des situations d’urgence

 

A coté du caractère massif des pertes en vies humaines et des dégâts provoqués par le séisme du 12 janvier 2010, l’autre aspect qui a retenu l’attention des observateurs a été l’incapacité des autorités haïtiennes à faire face à la situation et à porter assistance aux victimes. Or, il est connu que la promptitude des interventions après la survenance d’une catastrophe est un facteur essentiel de réduction de la mortalité. L’absence d’intervention effective de la part des autorités haïtiennes étaient en grande partie due à la gravité de l’évènement qui a touché toutes les institutions vitales du pays et les a rendues non opérationnelles. Toutefois, sont également à incriminer des faiblesses intrinsèques aux mécanismes d’assistance et de secours en cas de survenance de catastrophes de toute sorte en Haïti.

 

A coté du manque  d’équipement ou de personnel des institutions intervenant, les insuffisances  du cadre juridique sont aussi au cœur de la problématique de l’assistance aux victimes. En effet, faire face à une catastrophe majeure requiert que les pouvoirs publics disposent de moyens juridiques exceptionnels souvent dérogatoires à la légalité ordinaire et utilisant des connaissances  d’une certaine technicité empruntée du registre d’autres disciplines.

 

 

        2.1-Les outils juridiques défaillants en matière de secours et d’assistance aux

victimes

 

Le principal outil juridique pouvant servir à faire face aux catastrophes de grande envergure est la légalité d’exception qui permet de prendre des mesures urgentes destinées à minimiser les pertes en vies humaines ainsi que les pertes matérielles et à favoriser un prompt retour à la normalité. Mais, le premier élément à retenir les attentions des décideurs est la capacité de mobiliser dès les premières heures de la catastrophe les services publics spécialisés. Ceux-ci, pour pouvoir fonctionner efficacement, doivent disposer d’un cadre juridique de base auquel peuvent s’ajouter les mesures d’exception dans les cas où elles sont nécessaires.

 

Du point de vue opérationnel, les moyens dont disposent les autorités haïtiennes pour faire face aux différents aléas auxquels le territoire est exposé sont dérisoires. Le pays est  dans une situation de  dépendance absolue vis-à-vis  de ses partenaires étrangers. Au cours des dernières décennies, avec l’augmentation des catastrophes et leur plus forte médiatisation, des réformes sont intervenues dans les modes de gouvernance des situations d’urgence. Ces réformes, y compris celles envisagées après le séisme, ont cependant souffert de deux maux récurrents. D’abord elles ne concernent que l’organigramme du système ensuite elles ne font pas l’objet de consécration juridique.

 

Aux termes de l’article 266 de la Constitution, les Forces armées d’Haïti ont également pour attributions « d’aider la nation en cas de désastre naturel». L’armée a le mérite d’être tout à fait adaptée à ce type de mission du fait, entre autres, de sa structure de commandement et des facilités de mobilisation des troupes dans les circonstances les plus difficiles. Il est très regrettable que cette institution ait été supprimée irrégulièrement en 1994.

 

La Constitution de 1987 a également prévu en son article 52.3 un service civique mixte obligatoire qui peut tout autant être mis à profit dans le domaine de la protection civile. Les jeunes gens qui effectuent leur service civique pourraient être utilisés en appui au personnel de secours régulier. De même, le fait d’avoir effectué le service civique et d’y avoir suivi une formation adéquate en matière de prévention des risques et de gestion des désastres permettrait à une partie importante de la population d’avoir la capacité de mieux réagir face aux catastrophes en complémentarité avec le système de sécurité civile. Ce serait une occasion de matérialiser l’obligation de porter assistance aux personnes en dangers qui est considérée par l’article 52.1 de la constitution comme un devoir civique. La législation viendrait organiser les relations entre le système de sécurité civile, les forces armées, le service civique et d’autres institutions intervenant dans le domaine de la gestion des urgences comme les services médicaux.

 

         2.2 L’introduction de l’état d’urgence dans le droit haïtien

 

Lors de catastrophes majeures, il est indispensable que les autorités puissent disposer de moyens juridiques exceptionnels leur permettant d’effectuer des interventions de grande envergure. Jusqu’en 2008, le droit haïtien était lacunaire dans ce domaine. Le seul régime d’exception consacré par la Constitution est celui de l’état de siège qui ne peut être déclaré, selon son article 278, qu’en cas de guerre civile ou d’invasion de la part d’une force étrangère. Le gouvernement haïtien s’est donc retrouvé juridiquement désarmé quand il devait prendre des mesures d’urgence au cours de l’été 2008. Cette situation a obligé le pouvoir législatif à adopter, en toute célérité,  la loi du 9 septembre 2008 relative à  l’état d’urgence qui, du fait de ses limites, a été amendée après le séisme.

 

L’état d’urgence peut être déclaré par les autorités centrales ou, dans le cas d’une catastrophe circonscrite dans un point déterminé du territoire, par le Délégué du département ou, en cas d’empêchement de celui-ci, par le vice-délégué (articles 5 et 5.1 de la loi). Dans le premier cas, il est prévu que l’acte déclaratif d’état d’urgence est un arrêté du Président de la République pris en Conseil des ministres ou, en cas d’empêchement de celui-ci , du Premier ministre ou du Premier ministre intérimaire en cas d’empêchement simultané du Chef de l’État et de celui du Gouvernement. Cette forme de la déclaration est une violation flagrante des règles de compétences établies par la Constitution. En effet, la loi fondamentale de 1987 avait été conçue dans le but de limiter les compétences présidentielles après la dictature des Duvalier[12]. Aussi, l’article 150 de la Constitution dispose que : « Le Président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution». Il s’agit d’une évolution significative par rapport à la formulation traditionnelle en droit constitutionnel haïtien : « Le Président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution et par la loi [13]». La loi ne peut donc pas déroger de la sorte au texte suprême en accordant des prérogatives nouvelles au Chef de l’État.

L’état d’urgence, peut être déclaré pour un mois par les autorités centrales et renouvelé pour une période analogue sans intervention du pouvoir législatif. Quand il est déclaré par les autorités déconcentrées, sa durée initiale est ramenée à cinq jours avec possibilité de renouvellement, avec l’aval de l’Exécutif, pour une autre période maximale de cinq jours.

 

Il est indiqué dans l’article 2.1 de la loi, et c’est consubstantiel à la notion même d’état d’urgence, que l’objectif visé est d’accroître l’efficacité des pouvoirs publics dans une situation exceptionnelle, au besoin en restreignant les libertés et en dérogeant aux procédures administratives ordinaires. Il est cependant regrettable que la méconnaissance circonstanciée de certaines libertés fondamentales risque d’intervenir en violation de la Constitution qui les a proclamées sans habiliter le législateur à y déroger en cas de catastrophes naturelles. Ces droits et libertés font aussi l’objet d’une protection par les conventions internationales. L’article 276-2 de la Constitution est généralement interprété comme conférant une valeur infra-constitutionnelle et supra-légale aux conventions régulièrement incorporées dans le droit haïtien. La loi, même postérieure, ne peut donc pas déroger aux droits et libertés qu’elles consacrent.

 

La loi fait peu de place aux mécanismes de contrôle des actes posés durant l’état d’urgence. Ce n’est que trois mois après la déclaration d’état d’urgence ou à la reprise des travaux parlementaires, si la Chambre basse n’est pas en session, que le gouvernement aura à soumettre un rapport de catastrophe au corps législatif.

 

La fluidité des situations pouvant donner lieu à déclaration d’état d’urgence est également une donnée inquiétante. L’imminence d’un épisode pluvieux pourrait être instrumentalisée à des fins politiques inavouables dans le contexte de régression politique que l’on vit en Haïti. S’agissant de la période post-séisme, les mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement, en dehors de celles relatives à la gestion des affaires publiques, portaient essentiellement sur la propriété. D’une part, il y a eu certaines mesures d’appropriation informelle de biens privés, essentiellement des terrains assez vastes, pour établir des camps de personnes déplacées. Par ailleurs deux arrêtés sont intervenus le 19 mars et le 2 septembre pour déclarer d’utilité publique d’importants périmètres du département de l’Ouest. Ces décisions sont inachevées puisque des mesures d’expropriation n’ont pas suivi. Aussi, toutes les atteintes aux propriétés privées faites sur la base de ces arrêtés sont irrégulières car la seule déclaration d’utilité publique ne suffit pas pour prendre des mesures restrictives des droits réels.

 

L’adoption d’un texte législatif sur l’état d’urgence constitue une garantie en ce sens que les pouvoirs exceptionnels dont dispose l’Exécutif sont encadrés juridiquement. Les décisions prises dans ce contexte peuvent toujours être déférées à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, juridiction administrative de premier ressort en Haïti. Mais comme sus indiqué, le fait que le  cadre juridique de l’état d’urgence ne soit pas en parfaite harmonie avec la Constitution peut laisser augurer d’utilisations détournées de ce dispositif.

 

Les effets de la déclaration d’état d’urgence concernent également les modalités de gestion des affaires publiques entre autres du point de vue du droit budgétaire et des règles de la comptabilité publique ainsi que des normes relatives à la commande publique. A cet égard, il est important de souligner que l’article 7 accorde en période d’état d’urgence des compétences financières étendues au Gouvernement. Il est habilité à appliquer des procédures accélérées de déblocage de fonds. Il peut faire les dépenses jugées utiles et désaffecter des crédits.

 

Autrement dit, libéré des contraintes du principe de la spécialité des crédits tant du point de vue de leur objet que de leur montant, le gouvernement dispose d’une large liberté quant à l’utilisation des deniers publics. De telles mesures, ne sont pas sans susciter des réserves quant à des risques d’instrumentalisation à des fins étrangères à la volonté générale. La première utilisation des clauses de la loi sur l’état d’urgence relatives aux finances publiques n’ont pas laissé les meilleurs souvenirs dans l’opinion publique. En été 2008, 197,560 millions de dollars américains avaient été prélevés sur les fonds générés par le programme Petrocaribe[14]pour abonder un fond d’urgence destiné à faire face aux conséquences de la catastrophe. Les conditions d’utilisation de ce montant n’ont jamais été éclaircies en dépit de la révélation de pratiques aussi irrégulières que la duplication de projets et des détournements de fonds. Toutes les investigations diligentées au niveau notamment du Parlement, de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif et de l’Unité de lutte contre la corruption n’ont pas encore abouti. Cet énorme scandale financier a été utilisé par le Sénat pour justifier la  censure du gouvernement de Michèle Pierre-Louis le 29 octobre 2009.

 

Peu après le séisme du 12 janvier des sommes importantes ont à nouveau été prélevées du fond Petrocaribe en vue de faire face aux conséquences de la catastrophe. Des interrogations demeurent sur leur utilisation peu transparente[15]. Des procédures abrégées d’exécution des opérations budgétaires de même que des désaffectations décidées sur la base de l’opportunité par le Pouvoir Exécutif ont de quoi inquiété dans un pays où la corruption est endémique. Toutefois, il est indéniable que les procédures ordinaires d’exécution des opérations budgétaires de l’État ont de quoi gêner l’accomplissement des opérations d’urgence après une catastrophe. Le problème se situe davantage au niveau des mauvaises pratiques financières en cours dans le pays même en contexte normal et de l’absence d’une culture favorable à la reddition de comptes au niveau de l’Administration publique.

 

La loi sur l’état d’urgence telle qu’amendée le 17 avril 2010[16] prévoit également en son article 7 la passation de contrats publics dans le cadre des procédures abrégées prévues par la règlementation des marchés publics. Cependant, l’article 3 de la loi du 10 juin 2009 «fixant les règles relatives aux marchés publics et aux conventions de concession d’ouvrage de service public» ne renseigne pas davantage sur ces procédures. Cet article se contente d’exclure du champ d’application de la loi « les marchés publics découlant de l’application de la Loi sur l’état d’urgence». Dans la pratique, les autorités exécutives improvisent des procédures simplifiées en matière contractuelles.

 

La loi sur l’état d’urgence permet aussi aux autorités exécutives de créer des structures ad hoc dotées des pouvoirs nécessaires pour gérer les situations d’urgence. Cette possibilité n’a jusqu’ici pas été exploitée. La loi dans sa nouvelle mouture a elle-même créé, en son article 14, la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) dont l’existence ne devait pas dépasser 18 mois.  Sa composition mixte (personnalités haïtiennes et étrangères) n’a pas été unanimement bien acceptée en Haïti. Un arrêté pris en conseil des ministres en date du 21 avril 2010 précise son organisation et ses modalités de fonctionnement. Ce texte est lui aussi inconstitutionnel car édicté par le président de la République alors que la Constitution ne lui accorde pas ce pouvoir. Devait lui succéder une institution dénommée Régie pour le développement d’Haïti(RDH) qui ne sera composée que de nationaux.

 

La loi sur l’état d’urgence a donc connu une application discutable. Elle offre de nombreuses possibilités au Pouvoir Exécutif qui ne les a pas exploitées à bon escient. Elle semble davantage représenter un moyen pour éluder les contrôles et déroger aux droits et libertés fondamentaux sans forcément viser l’efficacité administrative.

 

Conclusion

 

La situation consécutive au séisme du 12 janvier 2010 a été une nouvelle occasion pour expérimenter les dispositifs juridiques relatifs à la gestion des  aléas naturels. Elle a surtout été un révélateur de carences tant le droit haïtien est lacunaire dans ce domaine. Que ce soit les outils juridiques spécifiques à la réduction des risques naturels majeurs ou ceux qui leur sont indirectement liés, ils ne correspondent pas aux exigences de la vie dans la «société du risque». Les institutions intervenant dans la mise en œuvre de la politique publique afférente aux risques naturels fonctionnent en dehors de tout cadre juridique consistant. Celles qui sont destinées à la réalisation des opérations de secours ne sont en général pas opérationnelles.  Le cadre normatif général destiné à faire face à des situations de catastrophes naturelles ayant révélé ses limites à l’usage, a fait l’objet d’une profonde révision après le séisme. Toutefois, cette nouvelle version de la loi d’urgence, loin de garantir l’efficacité de l’Administration dans la gestion de crise est plutôt porteuse de menaces quant aux libertés fondamentales et à l’exigence de bonne gouvernance financière de l’État. Des propositions de réforme ont été esquissées par le gouvernement. Elles visent une meilleure distribution de la population et des activités économiques sur le territoire. De même, un renouvellement des normes de construction est envisagé ainsi qu’une nouvelle planification urbaine. Il s’agit surtout d’intégrer le facteur sismique à coté d’autres dans les politiques de prévention des risques et désastres. Toutefois, en dépit de la bonne facture de certaines propositions, leur mise en forme juridique a été  négligée.

 

 

 

 

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ZANETTI, V., 2008, L’intervention humanitaire : droit des individus devoir des États, Labor et Fides, Genève, 326p

[1] U.BECK, La société du risque .Sur la voie d’une autre modernité, Paris , Flammarion, 2003

[2] Gouvernement de la République d’Haïti, Plan d’action pour le relèvement d’Haïti, mars 2010, p.6

[3] Évelyne Jean-Bouchard, Les États déstructurés comme application contemporaine du pluralisme juridique, Université du Québec à Montréal, 2009.

[4] Frédéric COHET-CORDEY, Vulnérabilité et droit : le développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit, Presses universitaires de Grenoble, 2000, 330 p.

[5] Steve JACOB et Nathalie SCHIFFINO , «Les politiques publiques du risque», Politique et sociétés, vol.26, no 2-3,2007, p.19-26

[6] Valérie SANSEVERINO-GODFRIN, Le cadre juridique de la gestion des risques naturels, Lavoisier, 2008, 70p

[7] Décret définissant la politique nationale en matière de gestion de l’environnement et de régulation de la conduite des citoyens et citoyennes pour un développement durable.

[8]  Rapport d’évaluation des besoins après désastre Cyclones Fay, Gustav, Hanna et Ike , novembre 2008,p.100

[9] Georges ANGLADE, L’espace haïtien, Les presses de l’Université du Québec, 1975,221 p.

[10] Evens EMMANUEL et al., Analyse de la situation de l’habitat en Haïti, LAQUE, Université Quisqueya,2000

[11] Gérard Barthélémy, L’univers rural haïtien : le pays en dehors, L’harmattan, 2000, 189p.

[12] Sur la philosophie qui sous-tend la Constitution de 1987 et notamment en ce qui concerne la limitation des pouvoirs présidentiels voir George MICHEL, La constitution de 1987 : Souvenirs d’un constituant, Le natal 1992

 

[13]  Article 150 de la Constitution.

[14] L’accord Petrocaribe permet à des pays caribéens dont Haïti de bénéficier  du pétrole vénézuélien dans des conditions avantageuses. Une partie de la facture (un peu plus de 50%) est réglée à court terme tandis que le reste le sera dans cadre d’un crédit de 25 ans à des aux avantageux. Voir Jean-Marc FOURNIER,  L’autre Venezuela de Hugo Chavèz, Boom pétrolier et révolution bolivarienne à Maracaibo, Karthala 2010 ,300 p.

[15] Voir l’article de Roberson ALPHONSE, L’odeur des dollars de PETROCARIBE,  dans le journal Le nouvelliste du 1er septembre 2010 accessible sur internet  http://www.lenouvelliste.com

[16]  Publiée dans le Journal official «Le moniteur» du 21 avril 2010.

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